L'écorce des coeurs est un hymne double: à la poésie et à l'amour .On s'en souvient: dans l'Autriche de la fin du XIX è siècle, Hugo von Hofmannsthal tenait la poésie pour une machine à ranimer la signification calcinée des mots. Jacques Viallebesset poursuit une
visée identique. Bien loin des "expérimentations" de langage qui tiennent lieu d'écriture , la poésie est ici sa propre expérience, en l'occurence celle du poète. Sans jamais se contenter de jouer avec les mots et les sonorités, Viallebesset utilise un "métalangage" qui, par un processus de métaphorisation des paroles, rend manifeste l'invisible .La poésie , la vraie, relève d'un processus initiatique, d'une patiente alchimie transformatrice qui convertit les mots en or. Ou qui permet, pour recourir au lexique de Viallebesset les retrouvailles du sujet avec la Parole, ce verbe créateur à l'origine de toutes choses.
"Poétiser, c'est vouloir capter le bruissement ou le palpitement des coeurs vivants qui battent à l'unisson du rythme du Cosmos" , nous dit avec lucidité l'auteur. Ce faisant, il s'est choisi un honorable devancier, Friederich Hölderlin, pour qui le seul mode d'être acceptable était la disponibilité "extatique" du poète. A la suite de Hölderlin, Viallebesset nous invite à faire fond sur la concrétude de notre propre existence: de nos passions, de notre finitude, et de notre incessante "résilience" . C'est sans doute parce qu'il donne à voir et ressentir ce qui frémit sous l'écorce des coeurs, dans un style limpide qui fait écho en chacun des lecteurs, que Jacques Viallebesset transforme ceux-ci en poètes.
Au gré des poèmes de L'écorce des coeurs , un réseau serré de filiations se dessine. Nombre de ces chants résonennt à la façon des incantations d'un Aragon, d'un Eluard ou même d'un Cadou. La figure solaire et tragique de Lilou rejoint ainsi Elsa, Gala ou Hélène dans cette glorification de l'aimée, de l'amante, de l'amie, de la compagne. Entre lyrisme et sensibilité, la langue est drue, le souffle puissant, c'est une poésie de plein vent et gorgée de sève, tour à tour mélopée ou élégie.
A défaut d'écrire avec son sang, Jacques Viallebesset, à l'instar du poète Hubert Juin, trempe sa plume dans la sève d'un arbre à lettres fécond: l'arbre essentiel-des kabbalistes auraient dit: dans la sève d'un arbre de la Connaissance.
Car c'est bien de l'essence de l'être dont nous entretient le poète, du rapport que l'homme entretient avec les autres, avec l'autre et même le tout autre. En semblant ne parler que d'un seul être et ne s'adresser qu'à lui, en l'occurence "elle", Jacques Viallebesset nous rappelle que la Liberté et l'Amour sont les deux plus hautes valeurs humaines. Un humanisme de l'Autre homme? Grâce à son lyrisme initiatique, les mots" usés, trop usés , d'avoir trop mal servi ", les vocables calcinés de Hofmannsthal, viennent de retrouver la Parole pour réenchanter un peu le monde.
Alexis Lacroix.
Magazine littéraire. Juin 2011
L'écorce des coeurs .éditions"Le Nouvel Athanor". Diffusion Soleils. 17 E
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